SECONDE CROISADE 1996 - AUJOURD'HUI - PARTIE 1
 

Au début des années 90, un phénomène de redécouverte des sixties voit le jour. Des organisateurs de tournées misent sur les circuits nostalgiques. Certains artistes se suffisent à eux-mêmes, ils font à nouveau des concerts en tête d'affiche. D'autres ont à leur actif juste un ou deux succès, pas de quoi se poser en grosses vedettes, surtout que la plupart n'ont pas sorti un vrai disque depuis 20 ans ou plus. Ceux-là sont inclus dans des circuits où ils partagent l'affiche avec d'autres dans le même cas, juste de quoi interpréter ce pourquoi ils sortirent de l'ombre trois décades avant. Il y a aussi un phénomène de vase communicant. Les maisons de disques, depuis l'avènement du CD, ont amplement raclés les fonds de tiroirs, compilant sur ce même support toute la carrière ou presque, des gloires passées. Les fans peuvent se remettre dans l'ambiance et même faire des découvertes intéressantes pour eux, certains titres relégués sur des vinyles obscurs et introuvables, sont à nouveau disponibles. Cette remise en condition crée une demande pour revoir sur scène, les artistes plus ou moins oubliés. De l'autre côté, il s'établit une demande pour que les spectateurs de concerts puissent mettre la main sur les chansons afin de les écouter à la maison, sans courir les magasins de collectors. Chacun y trouve son compte et c'est bien ainsi.
Les grosses vedettes des sixties, dans lesquelles on peut y inclure les Yardbirds sans problèmes, ont une démarche différente. Pour la plupart, leurs enregistrements sixties ont toujours plus ou moins bénéficiés de rééditions en vinyles et ils ont continués de vendre un nombre appréciable de disques, même s'ils n'étaient plus visibles. Ils furent les premiers servis avec le passage sur CDs. Certains sous d'autres styles, d'autres noms, ont continué une carrière musicale, parfois prestigieuse. Selon les cas, quelques uns ont complètement renié leur passé, les autres s'en accommodent parfaitement et n'hésitent pas à retourner aux sources. Disons dès qu'un artiste est assez âgé pour faire partie d'un circuit nostalgique, s'il le désire, il va revenir vers ce qui est la partie la plus connue de sa légende. Admettons que tous n'ont pas le choix. On imagine mal, maintenant, David Bowie interpréter uniquement le répertoire qui était le sien quand il s'appelait Davy Jones. On peut également comprendre que Jimmy Page ne fasse pas abstraction de quelques titres de Led Zeppelin, s'il se produit sur scène, avec ou sans les autres.
L'entrée des Yardbirds dans une nouvelle épopée ne pouvait se faire que sous certaines conditions. Il est hors de question d'avoir dans la nouvelle formation un des trois prestigieux guitaristes qui firent la réputation de la formation originale. Tous sont très occupés ailleurs, le plus inatteignable restant Eric Clapton. Pour Jeff Beck et Jimmy Page, il n'est pas improbable de les voir un jour, c'est fait pour Beck, venir d'une manière ou d'une autre se rappeler le bon vieux temps. Keith Relf est mort et Paul Samwell-Smith est devenu un producteur renommé, qui avait plus spécialement quitté ses copains pour échapper au phénomène des tournées.
De la formation originale, il n'en reste que deux de vraiment disponibles, Jim Mc Carty et Chris Dreja. De ces deux, Mc Carty est celui qui a le plus bourlingué, musicalement parlant. De son rôle originel de batteur, il a perfectionné son art. Il est devenu multi-intrumentiste, joue de la guitare, des claviers, a affirmé ses capacités de chanteur et est absolument capable de composer des chansons accrocheuses ou compliquées. Il a aussi exploré diverses musiques, parfois assez lointaines de ce qu'on pourrait attendre d'un ancien Yardbird. Mais il aime bien entretenir la légende et il en est devenu la mémoire vivante. Il sert d'épine dorsale à la nouvelle formation. Chris Dreja a eu un parcours bien différent, sans être tout à fait trempé dans la musique comme son collègue. Par contre depuis 1983, il a fait de nombreux retours avec sa guitare et son coup de main toujours habile quand il s'agit de gratter les cordes de sa Gibson. Et puis, lui aussi, est un de ceux qui ont fait la légende des Yardbirds, le cinquième de l'alchimie qui a fait qu'on en redemande aujourd'hui. Maintenant il reste quelques trous à boucher. Le guitariste soliste est certainement le plus important, surtout avec le passé dont nous sommes les témoins. John Idan aurait pu être celui-là. Il est soliste de formation et il est tout à fait compétent dans ce domaine, c'est certain. S'il lui manque quelque chose, c'est peut-être une expérience et une routine que son âge ne lui a pas permis d'acquérir. Malgré tout, il est déjà presque un vieux collaborateur des deux autres et il connaît le répertoire sur le bout de sa guitare. Il a une voix agréable, capable de bien des choses. C'est donc comme chanteur et accessoirement bassiste qu'il est incorporé dans la nouvelle formation. La place de soliste échouera à Gypie Mayo. Lui est beaucoup plus routinier et traîne derrière sa Fender un passé solide. Sa place de guitariste au sein de Dr Feelgood, n'a pas entâché la réputation et le succès de ce groupe après le départ du Wilko Johnson. Sa contribution au renouveau est certaine et nul ne la met en doute. Dernier élément, l'harmoniciste-percusionniste, rôle tenu par Relf dans la formation originale, trouve en Laurie Garman le personne qui convient. Son passage sera assez bref, remplacé par Alan Glen.
En 1996, c'est officiel, les Yardbirds sont reformés et partent à l'aventure. Les premières années seront consacrées aux tournées inter-continentales. La vieille garde des fans pourra se rincer l'œil et se laver les oreilles et enfin concrétiser un vieux rêve de concert. Les jeunes ne sont pas en reste et l'on peut dire qu'un tiers des spectateurs présents en font partie. Ils ont sans doute trouvé dans les disques à papa ou maman, un vieux 45 tours qui les a charmés. En résumé on peut certifier que partout où ils vont les salles ne sont jamais vides. On se déplace encore volontiers. Les shows se succèdent et lors d'une tournée US en 97, ils rencontrent à nouveau Giorgio Gomelsky. Ces retrouvailles qui sont plus une réunion pour le fun, que professionnelle. Le vieux producteur remontera sur la scène pour faire les chœurs dans "Still I'm Sad", comme jadis sur le disque. La machine est relancée tous azimuts, mais dans un premier temps c'est avant tout un groupe de scène. Il est évident que l'existence de cette nouvelle incarnation devait apporter un témoignage de sa réalité, autre qu'à travers des concerts. La monde du show biz a bien changé depuis le début des sixties. On mettait les artistes sous pression pour qu'ils sortent trois ou quatre disques par an. Maintenant, excepté des artistes engagés dans un but uniquement commercial, les vedettes contrôlent beaucoup mieux leurs passages dans les studios. Il n'est pas rare d'attendre quelques années la sortie d'un nouveau disque. Les stars des sixties encore en activité, n'ont pour la plupart plus la même créativité que trois décennies avant. Les moins ambitieuses se contentent de réenregistrer les anciens succès pour le compte de petits labels inaptes à assurer un travail de promotion sérieux. Pour ceux qui veulent encore prouver quelque chose, il faut éviter tous les pièges des offres faciles, s'assurer d'avoir en face de soi des gens compétents, et sans doute le principal, avoir le contrôle artistique de son travail. Les Yardbirds ont sans doute bien réfléchi à tout cela avant de tenter quoi que ce soit. Que peuvent-ils offrir? Que veulent-ils offrir? Une fois la décision prise, qui peut les aider efficacement à concrétiser leurs désirs. Dans un certaine mesure, ils doivent tenir compte de leur passé. Les fans qui viennent au concerts sont attirés en premier par la légende. Mais dans ce contexte, les Yardbirds veulent aussi montrer que cette reformation est une suite dans la continuité créative interrompue bien des années avant. Heureusement cette créativité existe bel et bien. Elle est surtout centrée sur la personne des anciens et plus particulièrement de Jim Mc Carty. Au cours de ses expériences passées, il a affiné un style de compositeur habile et original. Il ne s'inspire pas vraiment de son passé de Yardbird, mais plutôt d'un mélange de styles qu'il a assimilés en tant qu'auditeur. Lentement mais sûrement, une sélection de ces titres furent rôdés pendant les shows pour finir par donner ce que les anciens et les nouveaux attendaient, un nouveau chapitre de la discographie rompant un long silence. Finalement c'est un label américain, basé en Californie, qui eut l'exclusivité de ce travail, Favored Nations. Peut-être pas très connu du public européen, c'est une sorte de grande famille musicale qui compte dans des membres des noms prestigieux comme Larry Coryell ou encore Al Kooper. Le choix des Yarbirds se porta sur eux par la qualité et le sérieux dont il faisaient preuve, ainsi que les possibilités offertes. Il fallait assurer le maximum de visibilité à cette renaissance, tant dans les bacs des disquaires qu'au niveau du peaufinage de l'emballage et du contenu. Ma foi, le choix devait s'avérer plein de promesses tenues. On note de nombreuses participations, des amis tentés pour un instant de faire partie de l'aventure. Certains n'oublient pas le plaisir qu'ils ont éprouvés, comme témoins d'époque ou découvertes plus tardives, en écoutant cette légendaire formation. Ils viennent ici comme chanteurs, guitaristes ou simplement donner un coup de main. Le plus évident est Jeff Beck, il est un peu chez lui, à la limite son absence aurait choqué. Des noms comme Jeff Baxter, John Rzeznick, Joe Satriani, Steve Vai, Slash, Brian May, sont autant de personnages que les plus érudits pourront coller avec d'autres styles, d'autres moments d'histoire. Ils sont venus, il sont là, sous le nom de "Birdland", titre de cet opus.